Marc Lemonier,« La philo selon Les tontons flingueurs »

Film mythique et dit “culte” sorti en 1963, le film de Laut­ner qui met en avant des truands au verbe haut et au lever de coude leste au pos­sible, servi par les dia­logues sur mesure de Michel Audiard, ali­mente depuis belle lurette maintes ana­lyses.

Que l’on se penche sur Les ton­tons flin­gueurs pour les décor­ti­quer sous la loupe phi­lo­so­phique paraît en ce sens une excel­lente idée, manière de déni­cher du concept sous la farce truculente.

Encore faudrait-il que l’approche ana­ly­tique du sup­port fil­mique et des répliques soit menée avec l’approfondissement et la jus­ti­fi­ca­tion mini­male atten­dus, ce qui n’est pas le cas ici : le lien avancé entre le scé­na­rio et des thé­ma­tiques telles que la mort, la vérité, la ser­vi­tude volon­taire, le pou­voir, l’histoire, les échanges, la foi, la bana­lité du mal, la vio­lence, la maïeu­tique socra­tique demeurent en effet trop super­fi­cielles pour être rece­vables par le lec­teur. Seules les fiches pro­po­sées en contre­point sur cer­tains phi­lo­sophes (Tho­mas d’Aquin, Sim­mel, Rous­seau, Hobbes, Spi­noza, Kant, Arendt) ou cou­rants de pen­sées paraissent bien menées — à l’instar de celles consa­crées aux par­cours des acteurs — , le reste étant sou­vent déroulé à la vitesse de la lumière et plus imposé qu’exposé.

Si l’on sent bien l’attachement de Lemo­nier aux répliques “mora­listes” d’Audiard, c’est sur­tout le suivi édi­to­rial de l’ouvrage qui pose ques­tion et laisse au moins cir­cons­pect tant il y a de fautes et de coquilles au fil des pages : règles élé­men­taires de la ponc­tua­tion oubliées, fautes sur le nom des auteurs, oubli de mots dans les phrases, lap­sus (cer­ti­tude au lieu de ser­vi­tude) etc.

Bref, tout concourt à pen­ser que ce texte n’a pas été relu comme il aurait dû l’être, ce qui fait que la forme rejoint, las, le fond dans sa dimen­sion super­fi­cielle. Il est même assez éton­nant somme toute que, dédié à un film qui n’a jamais pré­tendu être une thèse d’Etat, l’auteur se per­mette de consa­crer autant de pages au passé col­la­bo­ra­tion­niste d’Audiard pen­dant l’Occupation : est-ce bien le lieu pour mettre en avant ce type d’information dans un contexte visant à pré­sen­ter le sens phi­lo­so­phique d’un film grand public ?

En défi­ni­tive, le “mode de vie en société” ou encore la méfiance envers “les faux-semblants” qu’est censé incar­ner le film ne sont jamais expli­ci­tés ni fon­dés. L’auteur, on en est bien désolé, argue de ren­vois à des auteurs du cor­pus phi­lo­so­phique qui demeurent de fait gra­tuits (ainsi du rap­pro­che­ment des plus expé­di­tifs avec Spi­noza) et l’on reste sur sa faim, davan­tage frus­tré qu’éclairé par cette approche.

louis taillan­dier

Marc Lemo­nier, La philo selon Les ton­tons flin­gueurs, édi­tions de l’opportun, jan­vier 2022, 160 p. — 13,90 €.

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